Cependant afin de dépasser le simple stade de la cohabitation, où les moyens d’expression se supportent, mais n’échangent pas vraiment (écouter un disque en lisant un livre), l’hybridation présuppose un terrain technique favorable au rapprochement. Autrement dit une homologie suffisante des dimensions documentaires propres à chaque moyen d’expression.
Les formes statiques et spatiales de restitution, dont l’ordre et le rythme de réception sont déterminés par l’utilisateur, comme le texte, le dessin ou encore la photographie se sont ainsi historiquement hybridées. Leurs supports d’enregistrement (l’imprimerie) et leurs supports de restitution (l’imprimé), constitutives d’un terrain partagé, ont permis l’émergence de nouvelles figures hybrides, par exemple la bande dessinée ou le photojournalisme.
De la même manière, les formes dynamiques ou temporelles de restitution dont l’ordre et le rythme de lecture sont imposés par le dispositif de lecture ont par le passé tenté de se rapprocher (par exemple l’image animée et le son afin de créer le cinéma sonore). Le son était alors restitué par un chronophone, dispositif dédié et séparé du projecteur d’images. Cette cohabitation présentait de graves défauts et en particulier une désynchronisation permanente. Ce défaut structurel a pu être résolu dès lors qu’une partie de leurs dimensions documentaires a été homogénéisée: le codage de l’image en photogramme et du son en spectrogramme s’effectuait sur un même support d’enregistrement (la pellicule argentique) et en aval, le décodage était effectué simultanément grâce à un dispositif optique.
Des figures hybrides, des dispositifs viables et autonomes ont ainsi pu exister, mais leur valeur sélective était très faible, étant dans une quasi-incapacité de s’hybrider. Le rapprochement photojournalisme et cinéma est stérile, à moins que le photojournalisme simule le cinéma (projection d’un diaporama et transposition des textes en voix off comme dans La Jetée de Chris Marker).
Depuis le début des années 1990, la généralisation de la numérisation (codage binaire) homogénéise l’ensemble des dimensions documentaires de toutes les formes sémiotiques d’expression, leur permettant de dépasser le stade de la cohabitation, de la simulation ou encore de la substitution. De très nombreuses figures hybrides ont ainsi pu voir le jour sur ce terrain désormais devenu fertile.
Cependant, cette homogénéisation, source incontestable d’une nouvelle vigueur hybride, ne doit pas faire oublier l’environnement, c’est-à-dire les qualités substantielles du contenu. C’est d’abord par rapport à elles, et dans un souci d’optimisation de la médiation, que doivent désormais s’adapter les formes sémiotiques d’expression. Dans cette perspective, les potentialités du numérique, résident dans sa puissance de manipulation: cibler, extraire, isoler les caractères spécifiques de chaque forme sémiotique d’expression, et ce sous toutes ses dimensions documentaires, ensuite les recombiner, les hybrider de manière à ce qu’un caractère composite puisse s’exprimer au sein de la figure hybride. Ce caractère apparaissant alors comme une transfusion des potentialités héréditaires contenues dans une forme d’expression, dans une autre forme d’expression.
La figure hybride change ainsi de statut, elle devient une forme de concrétisation qui se définit par la fonction relationnelle intime qu’elle parvient à entretenir avec le contenu de la médiation, cette figure « ne se maintient et n’est cohérente qu’après quelle existe et parce qu’elle existe » selon Gilbert Simondon.
En dehors de cette fonction relationnelle avec un contenu spécifique, la figure hybride est presque stérile. Séduits par son caractère composite, des producteurs de contenu peuvent être tentés de la recycler, de l’adapter à un autre contenu.
La médiation est entrée aujourd’hui dans un processus continu, qui permet à des formes sémiotiques d’expression d’être toujours en devenir, c’est-à-dire de se transformer, se renouveler et se différencier en des figures hybrides de plus en plus subtiles. Éléments clefs de la scénarisation interactive, elles tendent à se structurer comme un langage.